4 châteaux, quelques grandes bastides, un canal principal, des ramifications, le tout dissimulé dans l'espace urbain moderne...

Forts de leur succès, les souvenirs d'enfance de Marcel Pagnol ont suscité beaucoup de fantasmes et de théories sur le présumé itinéraire des vacances. Quels châteaux ? Quel canal  ?

Illustration du magazine "Elle" de 1956, 1ère ébauche des souvenirs d'enfance de Marcel Pagnol

Sur la base des travaux de Bruno Lizé et de Michel Drujon, au vu du nombre d'itinéraires possibles : Itinéraires 1, bis, ter, j'ai décidé de me faire ma propre idée. Aussi, pour me faciliter la tâche j'ai réalisé sur Maps une carte interactive sur laquelle j'ai placé tous les éléments du puzzle.

 Avant de supposer tout itinéraire, nous rappellerons simplement quelques principes de base bien établis, à savoir que toute randonnée se fait en fonction du terrain et des capacités des randonneurs ce qui exclura toute ascensions ou franchissements extrêmes...

Nous rappellerons en outre le principe du fonctionnement du canal de Marseille qui est basé sur le même principe que celui des romains à savoir que l'eau s'écoule de haut en bas par gravité et que les éléments de terrains se franchissent par divers moyens, tuyaux, siphons, ponts. Définissons enfin que le canal de Marseille s'écoule du nord vers le sud. 

Par où commencer ?

Puisque Marcel Pagnol désigne l'arrêt de tramway de La Barasse comme le point de départ de l’action, démarrons donc notre l’itinéraire à partir de là.

 

Marcel Pagnol y décrit dans La gloire de mon père une petite route poudreuse qui fuyait la ville entre 2 bistros.

 

 

''Il était bien joli ce chemin de Provence. Il se promenait entre deux murailles de pierres cuites par le soleil, au bord desquelles se penchaient vers nous de larges feuilles de figuiers, des buissons de clématite, et des oliviers centenaires''


Au départ du bistro de la Barasse, démarre donc sur la carte l'itinéraire mauve. Au carrefour de la route d'Aubagne la route se sépare en 2 : soit on se dirige à gauche vers le village de la Valentine où la route est plus courte et moins pentue soit on tourne à droite vers la montée de l'argile (Montée du Cdt de Robien) plus abrupte mais plus jolie avec ses murs de pierre.  

 

Lorsque Joseph explique à sa famille le long détour nécessaire pour contourner les murs de 4 ou 5 grandes propriétés, nous comprenons que Joseph a choisi la montée du Commandant de Robien pour débuter l'itinéraire des vacances.

 

Cependant un fait marquant va bouleverser cette ascension : la rencontre avec Bouzigue au niveau du siphon de l'Argile. Le siphon c’est le moyen qui permet au canal de Marseille de franchir la route. C’est cette rencontre qui est à l'origine du fameux raccourci des châteaux. 


Syphon de l'argile, montée du Commandant de Robien, qui permet au canal de Marseille de passer sous la route.

''Par un beau samedi d'avril, notre caravane, vers cinq heure, cheminait, fatiguée mais joyeuse, entre les deux murs de pierre dorée. À  trente mètres devant nous, une petite porte s'ouvrit. Un homme en sortit et referma la porte à clef. Comme nous arrivions à sa hauteur, il regarda soudain mon père, et s'écria "Monsieur Joseph !'''

Observons sur cette photo aérienne de 1923 le parc du château St Antoine. On y voit très bien le canal de Marseille traverser le parc du sud vers le nord,. On y voit aussi la porte du siphon de l'argile. Un magnifique raccourci semble donc se profiler si l'on pénètre dans le parc du coté sud mais encore plus intéressant si l'on passe par dessus  l'huveaune sur la passerelle du siphon  (Itinéraire rouge).

Photo aérienne 1923 remonterletemps.ign.fr

« Il sera maintenant inutile de suivre les berges : je vous prie de sonner a la grille du parc, et de traverser la propriété par l'Allee centrale. Elle est plus courte que le canal. »

Seulement, si le propriétaire du château est bien un héros de guerre, ce n'est pas celle de 1870, mais plutôt celle de 14-18 où il y perdit la vie.  En outre, le commandant de Robien acheta le château de Saint Antoine en 1907, année ou le tramway pouvait déposer la famille Pagnol bien plus loin directement au carrefour des 4 saisons.

 

Château St Antoine

Commandant de Robien 1854-1918

Syphon sur l'Huveaune


Et après ?

 

Après le château St Antoine, le canal de Marseille remonte vers le nord. On peut toujours le suivre ce qui raccourci indéniablement le trajet en passant à travers plusieurs grandes propriétés, c'est le 1er raccourci défitni par Bruno Lizé mais on ne s'approche pas de La Buzine.

 

 Dans la propriété voisine la Cipière à l'est de St Antoine il y a bien une rigole secondaire qui descend depuis le nord-est et qui vient se jeter dans un bassin. Cette rigole qui remonte vers La Maussane présente au moins un avantage, elle mène directement à La Buzine c'est le 1er itinéraire de Michel Drujon.

 

Cependant, à ce point du parcours, à mon sens il n'y a plus vraiment  grand intérêt à passer par la Buzine d'abord parce que l'on redescendrait un peu le terrain pour ensuite le remonter. De plus si l'on arrivait à la Buzine de ce coté, on arriverait par l'entrée principale coté nord. Or nous savons que Marcel Pagnol n'est arrivé à la Buzine de ce coté qu'à l'âge adulte lorsqu'il a acheté le château

 

C'est à ce point clé précis du parcours que les investigateurs, en quête de reconstitution de l'itinéraire se déchirent et choisissent leur camp entre les buzinosceptique et les buzinophiles car le château à grandes tourelles et la grande bâtisse carrée se situent bien loin à l'est de Saint Antoine.

 

Nous traversâmes quatre propriétés immenses. Dans la première, des parterres de fleurs entouraient un château à tourelles. Autour des parterres, il y avait des vignes et des vergers. Ici dit Bouzigue c'est le château d'un noble

Une foret d'arbousiers et de térébinthes avait envahi les champs abandonnés; un parc de pins centenaires cernait une immense bâtisse carrée; elle paraissait inaccessible parce que des genets épineux l'argelas des collines poussaient en rang serrés sous la haute futaie.


On le voit bien toute tentative de définition d’un itinéraire dépend en fait d’un facteur clé : de l'endroit d'où l'on descend du tramway. Si l'on descend à la Barasse et que l'on remonte le long du canal de Marseille dans le parc St Antoine on arrive a un point ou l'on se trouve bien décalé à l'ouest des châteaux de la Reynarde et  Régis. S'en approcher relève alors plus du détour que du raccourci. Pour se rapprocher de La Buzine il faut envisager un tout autre chemin en décalant son itinéraire a l'est c'est à dire en descendant simplement quelques arrêts plus loin.

Comment les choses se présentent-elles lorsque l'on descend un château plus loin ?

C'est en descendant à l'arrêt actuel de la Millière sur le boulevard du même nom que l'on peut rejoindre le château Regis. Comme pour le 1er itinéraire il faut d''abord traverser l'Huveaune pour rejoindre Saint Menet et arriver directement au pied du château. 

Ensuite il n’y a plus qu’à remonter le chemin le long du mur de la propriété pour tomber assez rapidement  sur une particularité dans le parc de la Buzine : La traverse de Saint Menet. Cette traverse en tranchée était destinée aux agriculteurs pour traverser le domaine sans déranger les propriétaires. Elle était profonde à hauteur d''homme et était surplombée d'au moins 2 petits ponts que l'on peut voir encore aujourd'hui mais quasiment remblayés, non loin du grand bassin près de l'école maternelle.

Voici la traverse de Saint Menet malheureusement rebouchée dans le parc de la Buzine. La seconde photo est un exemple de venelle trouvé sur internet  pour montrer à quoi pouvait ressembler cette traverse.

Traverse de Saint Menet

Exemple de venelle


A partir de cette traverse, il est possible d’imaginer que la famille Pagnol aurait pu s'introduire discrètement dans le parc de la Buzine et qu'elle aurait pu couper à travers la partie sud  du parc en utilisant une porte de sortie qui donnait accès directement au carrefour des 4 saisons (itinéraire orange). Une telle porte existait bien à la Buzine. Marcel Pagnol l’avait même fait photographier avec sa sœur Germaine pour illustrer le magasine Elle de décembre 1956 mais elle ne s’orientait pas tout à fait vers les 4 saisons. Aussi une dérivation du canal de Marseille passait bien au pied de cette porte mais c'e n'était qu'une rigole. 

Photo d'illlusteration du magasine 'Elle" de 1956

Illustration du château de ma

mère par Dubout


La porte de l'Eygalier mythe ou réalité ?

Marius Brouquier le maçon décorateur des films de Pagnol a vu son ami Marcel démolir cette porte avec une pierre en 1941 et l'a montrée a Jean-Baptiste Luppi, auteur du livre "Le château de La Buzine Propriété de Marcel Pagnol de 1941 a 1973". Jean-Baptiste Luppi a décrit le chemin d'accès de cette porte à Michel Drujon qui la située sur sa carte interactive que j'ai utilisé pour m'y rendre.


Le château de La Buzine Propriété de Marcel Pagnol de 1941 a 1973

par Jean-Baptiste Luppi

La porte présumée du père humilié...

Lorsque Michel Drujon a retrouvé la porte du père humilié notamment grâce aux photos de Francine Kouider qui a collaboré aussi au livre de Jean-Baptiste Luppi, fallait-il encore être sûr que se soit la bonne porte parce qu'entre la photo de Germaine et les photos de Francine, tous les doutes n'étaient pas encore dissipés...


Georges Berni et la grille funeste...

Georges Berni le célèbre guide des collines de Marcel Pagnol était lui aussi bien au courant de "la terrible porte de la peur et de l'humiliation". A l'occasion de la sortie de son livre "Dans les pas de Marcel Pagnol" il désignait même la fameuse porte comme une grille.

"Une grille a remplacé la funeste porte." photo années 80


En cet été 2016 je partais donc pour la Buzine avec sous le bras la carte interactive de Michel Drujon, le livre de Bruno Lizé et mon édition du château de ma mère. J'étais censé retrouver une porte en bois vert (dernières photos de la porte sur le site de Michel Drujon) mais je tombais sur un tout autre modèle de porte... Michel me confirma quelques heures plus tard que la grille que j'avais déterré, celle de Georges Berni, démontrait définitivement que la porte retrouvée était bien celle du père humilié.